Le NDD camp et les étranges métiers du domaining, avec David Chelly

Le NDD camp et les étranges métiers du domaining, avec David Chelly

Aujourd’hui, j’ai le plaisir d’interviewer David Chelly qui co-organise avec Philippe Franck le « NDD Camp », un événement spécialisé dans les noms de domaines, qui aura lieu le 26 juin à Paris (voir le site web).

logo-nddcampIl va d’abord présenter les différents métiers liés au domaining. Ensuite, il décrira l’événement et nous racontera son parcours sur le web.

  • Salut David, merci d’avoir d’accepté cette interview
  • De rien François, tout le plaisir est pour moi 🙂
  • Peux-tu présenter le NDD Camp ?
  • Le NDD Camp est le principal événement en France spécialisé dans les noms de domaines. Il réunit des acteurs divers qui utilisent les noms de domaine à titre professionnel, que cela soit pour les commercialiser, pour protéger des marques, pour le référencement, etc.
  • Parmi ces professionnels, il y a évidemment les SEO, mais quels sont les autres acteurs du nom de domaine?

Les métiers du domaining

On distingue cinq grandes catégories de professionnels qui travaillent activement sur les noms de domaines :

  1. les domainers
  2. les registars
  3. les agences de naming et de branding
  4. les avocats et conseillers en propriété intellectuelle
  5. les SEO

1) Les domainers

Un domainer est une personne qui investit son argent en rachetant des noms de domaine qui ont un potentiel intéressant. Par exemple, on peut acheter un nom de domaine :

  • exact comme « telephone.fr » ou « chaussette.com »
  • utilisable pour créer une marque comme «cool.fr» ou « mamaison.com »

Un nom de domaine de ce type peut être vendu extrêmement cher, parfois jusqu’à 100.000 € pour le marché français, et plusieurs millions d’euros pour les noms de domaine avec un potentiel international.

Le domainer vu par les médias
Le domainer vu par les médias

Il y a de nombreux fantasmes qui circulent sur les fortunes des domainers, souvent relayés par les médias qui aiment parler des cas exceptionnels, qui ne sont en rien révélateurs de la réalité du marché.

Dès qu’une grosse vente est publiée, qu’elle soit réelle ou non, des petits malins pensent avoir découvert un filon et enregistrent des dizaines, des centaines ou des milliers de noms de domaine qui ne se vendront jamais.

Par exemple, il y a eu en 2015, le cas d’Alphabet qui a choisi « abc.xyz » comme nom de domaine. En conséquence, des millions de noms de domaine en .xyz ont été enregistrés, au point d’en faire la principale nouvelle extension en nombre de noms de domaine enregistrés, parmi plus de 1000 créées depuis 2014. Mais bien sûr, ces enregistrements n’ont débouché que sur des pertes pour leurs titulaires, tout le monde cherchant à revendre ses .xyz et personne ne voulant les acheter.

En pratique, enregistrer des noms de domaine en vue de les revendre n’a jamais marché. Il faut une grande expérience pour ne pas perdre d’argent dans le secteur et le potentiel du marché français est trop faible pour en faire son activité principale.

La réalité du domainer
Le domainer dans la réalité

2) Les registars :

Ce sont les bureaux d’enregistrement des noms de domaines, ils sont chargés de la commercialisation des noms de domaine. Lors du NDDcamp, vous pourrez voir OVH.

OVH sera présent au "NDD Camp"
OVH est un registar

Encore une fois, il y a pas mal de mythes sur les registars : les webmasters ont tendance à penser que les registars gagnent de l’argent à chaque fois qu’ils réservent un nom de domaine. En fait, c’est complètement faux. La concurrence entre les registars (français et internationaux) est tellement forte qu’ils doivent toujours diminuer le montant de leur marge. De ce fait, un registar ne gagne presque rien sur la réservation d’un nom de domaine.

Le service de réservation est un moyen de capter une clientèle à qui vendre de l’hébergement, de la sauvegarde de données, du cloud, de la téléphonie, …

3) Les agences de branding et de naming

Ce sont des agences marketing spécialisées dans la recherche de nom de marque. C’est un art assez complexe, car il faut :

  • que le nom soit assez court.
  • qu’il soit facile à prononcer et à mémoriser dans plusieurs langues (c’est particulièrement compliqué en Europe)
  • qu’il ne ressemble pas trop à une marque existante
  • qu’il corresponde à l’image de la marque
  • qu’il plaise au directeur 🙂

L’air de rien, remplir ce cahier des charges est loin d’être évident ce qui explique qu’il s’agit d’un métier à part entière.

Trouvez un nom est un vrai métier
Trouvez un nom est un vrai métier

Une fois qu’une shortlist de noms de domaine a été validée, l’agence de naming doit négocier avec les titulaires des noms de domaine (les domainers), puisqu’il n’existe plus de nom de marque « sexy » directement disponible à l’achat, tout a déjà été réservé.

Les entreprises font appel à ces agences lorsqu’elles veulent changer de nom. Marcel Botton, directeur du leader européen « Nomen » qui est considéré comme l’un des meilleurs experts mondiaux en la matière, interviendra d’ailleurs à ce sujet au NDD Camp.

Pourquoi une entreprise voudrait-elle changer de nom ?

En général, une start-up va prendre à peu près n’importe quoi comme nom de marque au début pour faire vite et pas cher. Mais lorsque l’entreprise grandit, investir dans un beau nom de marque devient un véritable avantage marketing.

Par exemple, le site « covoiturage.fr » est devenu « blablacar.com », ce qui sonne nettement mieux et surtout peut-être prononcé à peu près facilement partout en Europe.

Avant "BlablaCar" s'apellait "covoiturage.fr"
Avant « BlablaCar » s’apellait « covoiturage.fr » (lire l’article)

Parfois, les sites ne veulent pas changer de noms, c’est par exemple le cas de « Vente-Privee.com », pourtant ce nom est absolument impossible à internationaliser.

Enfin, changer le nom c’est aussi une façon de communiquer et d’obtenir de nombreux articles dans les médias.

Que penses-tu des nouvelles extensions exotiques (« .io », « .guru », « .ninja » …)  ?

Je pense que c’est une erreur de prendre ce type d’extension car le grand public ne comprend pas à quoi ça correspond. Par exemple, le site « agar.io » est souvent écrit « agario.com », ce qui mène à un site parking.

Il faut aussi savoir que les nouvelles extensions appartiennent à des entreprises privés qui peuvent changer leur conditions du jour au lendemain ou faire faillite. C’est un risque à ne pas négliger.

4) Les avocats et conseillers en propriété intellectuelle

Ils défendent les intérêts de leurs clients en menant des procédures contre les titulaires de noms de domaine qui empiètent un peu trop sur les noms des marques.

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C’est souvent justifié, notamment lorsqu’un concurrent tente d’induire en erreur un internaute avec un nom de domaine trop proche. Mais parfois c’est excessif ! Par exemple, pendant une période, Ebay attaquait systématiquement dès qu’un webmaster utilisait le mot « bay » dans le nom de domaine. C’était n’importe quoi.

L’un des objectif du NDD Camp est justement de pacifier les relations entre les marques et les éditeurs de sites web. Nous expliquons aux juristes qu’il n’est pas nécessaire d’attaquer pour s’arranger avec les webmasters.

Néanmoins, quelques avocats continuent à attaquer aveuglément car ils peuvent gagner de l’argent en prenant des commissions sur les dommages et intérêts. Pour lutter contre ce fléau, nous sommes liés à des avocats passionnés par le web. Ils peuvent défendre les webmasters qui sont victimes d’acharnement judiciaire.

Je veux réserver « super-iphone.fr », ai-je le droit ?

Non, d’après la loi sur la propriété intellectuelle et la jurisprudence, tu n’as pas le droit car la marque est réservée. Tu risques donc de te faire attaquer par Apple.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que le droit de la propriété intellectuelle c’est surtout un rapport de force donc si c’est un groupe comme Apple qui t’attaque, tu vas perdre. Par contre, un groupe important aura la puissance requise pour se défendre.

En propriété intellectuelle, la justice est surtout un rapport de force
En propriété intellectuelle, la justice est surtout un rapport de force

Généralement, les petites entreprises ne sont pas attaquées car elles n’ont pas assez d’argent pour payer des dommages et intérêts. Ce sont les entreprises moyennes (20 à 100 salariés) qui sont la cible favorite des avocats.

Je réserve le nom de domaine « super-telephone.fr » et je fais des liens d’affiliation vers Amazon sur les iPhone. Est-ce autorisé ?

Pas de problème, c’est légal.

Mais si les avocats d’Apple attaquent car ils estiment que c’est du parasitisme économique, c’est le juge qui décidera de ton sort… Et il y a parfois des décisions surprenantes !

5) Les SEO

Les SEO sont de gros consommateurs de noms de domaines, c’est de plus en plus vrai avec l’accélération de la mise en place de PBN de plus en plus grands. La plupart de ceux qui seront présents au NDD Camp sont des black hat.

Les Black Hat seront présents au NDD Camp
De nombreux Black Hat seront présents au NDD Camp

Ils sont plus nombreux chaque année et c’est agréable car ils sont très dynamiques et ont une autre culture du web. Ils apportent donc de bonnes idées au milieu du domaining.

Je n’aurais pas imaginé qu’il existait autant de métiers dans un milieu aussi pointu que le domaining ! Peux-tu maintenant nous parler du NDD Camp ?

Le NDD Camp

Cela fait une dizaine d’années que les professionnels des noms de domaine se rencontrent lors d’événements, à l’origine créés par Sedo. Nous avons décidé avec mon collègue Philippe Franck d’institutionnaliser ces rencontres il y a trois ans en créant le NDD Camp. Pour cette troisième édition, nous attendons un peu plus de cent participants.

Les conférences SEO seront-elles de haut niveau ou plutôt basiques ?

Les gens qui présentent sont de haut niveau mais ils s’adaptent au public qui lui n’a pas une expérience très importante. Ce sera donc plutôt pour les débutants.

Quel est le pourcentage de SEO présents (en gros) ?

  • 40 % SEO
  • 10 % domainers
  • 10 % registrar
  • 10 % agence web
  • 10 % d’éditeur de sites
  • 10 % de juristes et conseils en propriété intellectuelle
  • 10 % d’autres professionnels du web (hébergeurs, etc.)

Penses-tu que les SEO auront l’opportunité de vendre des prestations aux autres participants ?

Oui. C’est l’occasion de se faire des contacts, d’expliquer ce qu’on fait et peut-être de signer des partenariats.

Rencontre entre professionnels du domaining
Rencontre entre professionnels du domaining

 

L’événement est entièrement gratuit (repas compris) ce qui est assez rare dans notre milieu. Comment est-il financé ?

Je suis prof dans l’école, la salle est prêtée gratuitement 😉

Ce sont les sponsors qui paient le buffet, l’assurance et le personnel.

Vu que ce n’est pas un business, mais une passion, on ne cherche pas à tirer profit de l’évènement.

Merci pour ces précisions. Peux-tu nous en dire un peu plus sur toi ?

David Chelly

David Chelly
David Chelly

J’ai commencé à éditer des sites à la fin des années 90, par hasard. J’étais consultant spécialisé dans l’internationalisation vers les pays d’Europe centrale et orientale et j’ai choisi de me faire connaître en créant un site internet. Rapidement, cela m’a beaucoup intéressé, d’autant qu’il était très facile à l’époque de se positionner dans Google.

Après des hauts et des bas, j’ai préféré m’orienter vers le domaining, qui me semblait plus porteur à terme. Après coup, je me rends compte que ça n’était pas un bon choix en terme de rentabilité, mais j’ai découvert un univers passionnant à la frontière entre l’informatique, le droit, la finance et le marketing.

Aujourd’hui, je me considère comme une « concierge », à l’affut de tout ce qui se passe, mais ça n’est pas mon activité principale. 90 % de mes revenus proviennent des SEO, qui sont actuellement très demandeurs de liens et pages sponsorisés, ce qui tombe bien lorsqu’on a un portefeuille de sites important avec des noms de domaine anciens et thématisés, comme c’est mon cas.

Je suis également professeur en Ecoles de commerce depuis une vingtaine d’années, ce qui me permet de partager ma passion pour l’internet avec une population plus jeune, avec qui j’apprends beaucoup à chaque cours.

Comment le marché des domainers a-t-il évolué depuis 1990 ?

Lors du développement du web, il y avait beaucoup d’acheteurs pour des « beaux » noms de domaine. Le marché était donc très actif. En attendant qu’un acheteur se présente, nous placions une simple page « En attente d’un acheteur » et une pub adsense (site parking), ce qui suffisait largement pour rentabiliser le nom de domaine. On pensait vraiment être sur un marché porteur.

Au fil des années, le CPC a commencé à baisser. Et les sites en attente ont été de moins en moins rentables.

En 2012, Google a désindexé tous les sites parking, les sites ne recevaient plus du tout de visiteurs. Du coup, ça a commencé à devenir très compliqué de maintenir de gros portefeuilles de noms de domaine.

En parallèle, les acheteurs sont devenus de plus en plus rares. Je dispose personnellement d’un portefeuille d’environ 1000 noms de domaine, et je n’en vends qu’une poignée par an, ce qui couvre à peine les frais de renouvellement. Personne sur le marché francophone n’exerce cette activité à temps plein, c’est pour nous une forme d’investissement et un hobby.

Heureusement, depuis 3 ans, les SEO commandent des articles sponsorisés pour leur besoin en référencement. J’ai donc créé des mini-sites thématisés sur lesquels il est possible de publier des articles. La demande ne cesse d’augmenter, ce qui rend mes noms de domaine à nouveau rentables.

Aujourd’hui combien vends-tu un nom de domaine ?

Le prix minimum d’un beau nom de domaine est au minimum de 500 €. Je les vends en moyenne un peu plus de 1000 €.

Ces montants peuvent paraître excessifs, mais il faut savoir qu’un domainer n’achète pas des domaines libres à 6 €, il les achètent dans le « second marché », c’est à dire à un autre domainer. Par exemple, j’ai acheté récemment un nom de domaine à 4000 €. Je me suis un peu emballé lors des enchères ^^’

Combien as-tu vendu de nom de domaine au cours de ta carrière ?

En gros, j’ai acheté et vendu plus de 15 000 noms de domaines.

Merci d’avoir répondu à mes questions et de m’avoir fait découvrir le monde étrange des noms de domaine 🙂

Merci aussi de m’avoir invité à animer une conférence sur les PBN 🙂

On se retrouve donc au NDD Camp lundi 26 juin à Paris. Venez nombreux !

4 Replies to “Le NDD camp et les étranges métiers du domaining, avec David Chelly”

  1. Bravo François et merci pour ce super boulot !
    On est sur un sujet un peu spécifique et je ne sais pas dans quelle mesure cela va intéresser les SEO, mais en tous cas merci pour l’initiative

  2. Pour un SEO le nom de domaine est une sacrée problématique. Il y a l’histoire de l’exact match domain, décrié depuis quelques années mais qui peut toujours donner de bons résultats, il y a le nom de domaine « utilitaire », le nom de domaine « branding », le nom de domaine inexplicable, etc et autant à faire du côté des extensions NDD. j’ai écrit en 2014 un billet sur le sujet : http://blog.promoteur-internet.com/post/speculation-ndd et aujourd’hui je me suis calmé. Je résiste à la tentation d’acheter / créer ou de racheter un nom de domaine expiré. La plupart du temps, parce que je n’aurai jamais le temps d’exploiter l’idée de site que je voudrais monter sur ce NDD. Suivant quelques SEO sur Twitter qui avouent craquer régulièrement pour de nouveaux domaines, je m’estime heureux d’être passé de plus de 200 domaines à une trentaine… J’ai rédigé un article en 2016 sur mon observation d’un de mes NDD que j’avais laissé partir, et je dresse l’analyse de ce qu’il est advenu en quelques années : site wordpress pour liens, site phishing e-commerce, parking avec plein d’incentives et de métriques pour le mettre en avant et le revendre, etc : http://blog.promoteur-internet.com/post/arnaque-seo-ndd-expire

  3. Merci pour cet article, au fil des années je comprends que le domaining reste toujours un métier très très incompris et qui soulève des opinions très différentes.
    Il est toujours aussi difficile, même en 2017, pour une marque ou un annonceur de comprendre l’ensemble des efforts, toute l’énergie nécessaire et les prises de risques d’un domaineur dans son quotidien. Ce métier est difficile et très en marge encore à ce jour. Alors attention aux jugements hâtifs.

    Je recommande de prendre le temps de lire les écrits de David Chelly ou d’aller voir une de ses conférences pour se faire son propre avis.
    Loin des conférences « digitale » très à la mode, nous sommes ici sur un métier de passionné(s) pour ne pas dire de furieux. Nous sommes ici sur un terrain mondial avec des règles proches du domaine de l’immobilier. Avoir des acteurs comme David dans ses contacts est juste précieux ainsi que son compère Philippe FRANCK et d’autres que je ne pourrais pas citer sans leurs accords signés en 12 exemplaires sur tablette gravées (sur de la pierre) !

    David Chelly est l’un des rares dinosaures du Domaining Français encore en activité. Bref à conserver dans sa stratégie OnLine et pour ne rien gâcher c’est un sacré Monsieur !